Leçons sur les fondamentaux du jeu de Go

Rémi Vannier est un joueur de Go rennais, grand amateur de théorie et lecteur vorace d’ouvrages sur le jeu de Go. En 2014, il décide sur un coup de tête de traduire le livre « Leçons sur les fondamentaux du jeu de Go » de Toshiro Kageyama, et ce n’était pas gagné d’avance… Propos recueillis par Kevin Cuello (KC) et Jean-Pierre Lalo (JPL).

Rémi Vannier, joueur, traducteur et auto-éditeur !

KC : Quelles sont les raisons qui t’ont poussé à traduire ce livre ?

C’est un de mes premiers livres de go. Je crois que je l’ai lu juste après « Tesuji » de James Davies, alors que j’étais 15e kyu. Mon père étant lui même joueur de Go, j’avais accès à tout plein de bouquins. Je peux vous dire que j’en ai dévoré pas mal ! Mais celui-ci m’a particulièrement marqué. Ceci dit, je me souviens aussi que certains chapitres m’étaient passé au-dessus de la tête. Il faut dire que c’est un bouquin assez verbeux, avec plein d’anecdotes et quand on ne maîtrise pas l’anglais, et c’était mon cas quand j’étais ado, on ne comprend pas tout !

Quand je me suis décidé à traduire un livre il y a deux ans, celui-ci m’a semblé tout indiqué. Ca ne sert pas à grand-chose de traduire un bouquin de problèmes comme « Tesuji » : avec quelques rudiments d’anglais, on s’en sort en regardant les diagrammes. Mais celui-ci est différent. Et puis… C’est quand même le bouquin de référence pour plein de gens !

Au tout début, j’avais peur que cette traduction n’intéresse pas grand monde. Après tout, beaucoup de joueurs de Go parlent anglais, et le livre est tellement connu qu’on est nombreux à déjà l’avoir dans sa bibliothèque. Puis en discutant sur les forums et autour de moi, je me suis rendu compte que beaucoup attendaient la traduction avec impatience.

KC : Qu’est-ce qui t’a le plus intéressé dans ce livre ?

J’aime le style de l’auteur et sa façon d’enseigner. Toshiro Kageyama est devenu professionnel très tard, après avoir gagné le tournoi Honinbo amateur à l’âge de 22 ans. Contrairement à ceux qui sont devenus pros en suivant une formation d’Insei dès leur plus jeune âge, il a « appris » le go à l’âge adulte, comme la plupart d’entre nous. Du coup, il a développé une pédagogie qui me semble plus adaptée au public des joueurs Européens.

JPL : As-tu traduit la version anglaise ou es-tu remonté à la source de l’édition japonaise ?

A mon grand regret, j’ai dû partir de la version anglaise. En effet, la déontologie dans la traduction interdit de traduire un texte traduit. J’aurais bien aimé m’assurer que la version anglaise était fidèle à la version originale, mais je ne parle pas japonais et n’avais pas de Japonais sous la main… Finalement, j’en ai parlé à la Nihon Ki-In, qui m’a donné son accord. Bien sûr, je suis curieux de savoir si James Davies avait pris beaucoup de libertés par rapport au texte original.

KC : Traduire un ouvrage, ce doit être un très gros travail et demande une implication personnelle dense, non ?

J’ai traduit « Leçons sur les fondamentaux du jeu de Go » en 2 ou 3 mois. J’étais prof de maths contractuel à l’époque. Bref, j’avais des vacances, mais je n’étais pas payé. Donc j’étais plutôt motivé et j’y ai consacré tout un été.

Ce qui a pris du temps, environ un an, c’est le travail de relecture avec les joueurs du club de Rennes et d’autres intéressés par le projet. Au début, le texte était lourd et plein d’anglicismes. Je crois que j’ai réécrit le livre 4 ou 5 fois !

Le résultat final !

Le résultat final !

KC : Tu as créé ta propre maison d’édition pour diffuser ce livre, pourquoi cela ?

J’ai dû négocier avec la Nihon Ki-in (Fédération Japonaise de Go) pendant presque deux ans pour obtenir les droits de traduction. Ce n’était pas facile, même après leur avoir présenté la version finale. Mais je ne m’étonne pas qu’on hésite à donner les droits mondiaux de traduction à un parfait inconnu. En outre, il semble que Kageyama ait pas mal de descendants, ce qui a ralenti les démarches. Au moment où je commençais à désespérer de ne jamais obtenir ces droits, j’ai reçu le mail d’autorisation de diffusion. Gros soulagement !

En parallèle, j’ai contacté plusieurs maisons d’édition, notamment celles habituées à publier des livres de Go, mais j’ai l’impression qu’elles ne sont pas très intéressées par ce genre de projet. Une traduction tirée à 500 exemplaires, ce n’est pas très rentable. C’est dommage, parce que ça prive un public non-anglophone d’un paquet d’ouvrages passionnants !

De nos jours, il est très facile de faire soi-même de l’édition, il suffit de quelques logiciels et d’un imprimeur. Je me suis renseigné, et j’ai choisi le statut d’auto-entrepreneur afin de mener le projet jusqu’au bout. Avec le recul, je me dis que j’aurais pu créer une association pour le faire, puisque je ne vais vraisemblablement pas gagner d’argent avec ce projet.

KC : Avais-tu des attentes particulières en te lançant dans ce projet ? Comment te sens-tu maintenant que tu as publié « Leçons sur les fondamentaux du jeu de Go » ?

Au début, je ne pensais pas sincèrement faire aboutir ce projet. J’avais juste envie de partager le texte avec la communauté des joueurs français, et je ne m’étais pas aperçu des efforts que cela pouvait demander.

Au final, je suis très satisfait. C’est un très bel ouvrage, dont la couverture a été joliment réalisée par May, du club de Rennes. Je pense avoir progressé au Go grâce à lui, je le connais quasiment par cœur, et j’ai parfait ma maîtrise de la langue française.

JPL : Alors que les joueurs « branchés » disent qu’il n’y a plus d’avenir que pour l’immatériel, pourquoi as-tu choisi ce bon vieux « support papier » ?

Très bonne question ! Je suppose que je dois être un peu vieux jeu. Un pdf, ça se télécharge, ça se lit en diagonale. Alors qu’un livre c’est concret, tangible… Je crois que je n’ai même pas envisagé de faire une version électronique…

KC : A quel public le conseilles-tu ?

Tout le monde peut le lire, il est très intéressant. Mais il s’adresse surtout aux joueurs de niveau 15 kyu à 1er dan, notamment pour aider ceux qui ont l’impression de stagner. Nous commettons toujours les mêmes erreurs. Pour progresser, il faut désapprendre nos mauvaises habitudes et ce livre est idéal pour cela.

KC : Et maintenant, as-tu d’autres projets en tête ? Un petit mot pour ceux qui veulent se lancer dans un projet d’édition ?

Pour l’instant non, je n’ai pas l’intention de traduire un nouvel ouvrage, j’ai surtout besoin de me reposer ! S’il y a un livre que j’aimerais voir traduit en Français, c’est « Direction of Play » de Takeo Kajiwara, mais je n’ai pas encore le courage de m’y mettre.

J’espère que mon initiative donnera des idées à d’autres joueurs comme moi désireux de rendre accessible de magnifiques œuvres littéraires liées au Go. Si je peux être utile, je n’hésiterai pas à donner des conseils. Par contre, ne me demandez pas d’être votre éditeur, ça ne marcherait pas : je suis trop perfectionniste. Se relire soi-même, c’était déjà un enfer, alors relire le travail d’un autre ! (rires)

Plus d’infos sur son site internet : http://vannier-editions.fr

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